Décret 3R : objectifs, limites et impacts potentiels

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Décret 3R : objectifs, limites et impacts potentiels

En votant la loi Anti-Gaspillage et pour une Economie Circulaire (AGEC), la France s’est donnée pour horizon d’interdire la mise sur le marché d’emballages plastiques à usage unique d’ici à 2040.

Pour y parvenir, des objectifs intermédiaires de réduction, réutilisation-réemploi et recyclage doivent être fixés par période de cinq ans : ainsi le décret n° 2021-517 du 29 avril 2021, dit « décret 3R », fixe-t-il des objectifs pour la période 2021-2025. 

Que dit le décret ?

Réduction : -20 % d’emballages en plastique à usage unique mis sur le marché (par rapport à 2018)

Le premier article du décret 3R fixe un objectif de réduction des emballages en plastique à usage unique mis sur le marché de 20 % entre 2018 et 2025. Il est précisé que « cet objectif est calculé à partir du tonnage de plastique incorporé dans les emballages à usage unique mis sur le marché », ce qui implique de déterminer le tonnage initial – ou « T0 » – d’emballages en plastique à usage unique mis sur le marché en 2018 (voir ci-dessous).

Réduction : -100 % d’emballages « inutiles » en plastique à usage unique

Le décret 3R fixe un objectif de « tendre vers une réduction de 100 % des emballages en plastique à usage unique inutiles, définis comme ceux n’ayant pas de fonction technique essentielle, comme une fonction de protection, sanitaire et d’intégrité des produits, de transport, ou de support d’information règlementaire » à l’échéance du 31 décembre 2025.

Réemploi et réutilisation : au moins 50 % de contribution à l’objectif de réduction

Le décret 3R liste plusieurs actions qui permettent de réduire la mise sur le marché d’emballages plastiques à usage unique :

  • La suppression des emballages ;
  • L’allégement des emballages ;
  • La substitution du plastique par d’autres matériaux ;
  • L’utilisation de dispositifs de recharge ;
  • Le remplacement d’un emballage à usage unique par un emballage réemployé ou réutilisé.

Cette dernière action doit représenter d’ici à 2025 au moins 50 % de la réduction attendue de 20 % entre 2018 et 2025. Dit autrement : au moins 10 % des emballages en plastique à usage unique mis sur le marché en 2018 devront devenir des emballages réemployés ou réutilisés d’ici à 2025. Ceci pose cependant la question de la mesure du réemploi (voir ci-dessous).

Recyclage : 100 % d’emballages recyclables mis sur le marché (en 2025)

Il reste aujourd’hui des emballages en plastique à usage unique non recyclables mis sur le marché, qui devront disparaître d’ici à 2025 : « l’objectif est que les emballages en plastique à usage unique mis sur le marché disposent, d’ici au 1er janvier 2025, d’une filière de recyclage opérationnelle, en veillant à ce qu’ils ne perturbent pas les chaines de tri ou de recyclage, et ne comportent pas de substances ou d’éléments indissociables susceptibles de limiter l’utilisation du matériau recyclé.

Pour contribuer à l’atteinte de cet objectif de recyclage, les metteurs sur le marché favorisent l’intégration de matière recyclée dans les emballages en plastique, pour soutenir le développement des filières de recyclage et l’accroissement de leurs débouchés. »

Quelles sont les zones d’ombre à date ?

Si les objectifs sont clairs, ils posent cependant des questions « techniques » de mesure du réemploi ainsi que d’allocation par catégorie de produits et nature d’emballages. La question de la définition d’un emballage inutile se pose également.

Allocation par nature d’emballages (ménagers et professionnels)

Les objectifs de réduction, réemploi-réutilisation et recyclage sont applicables indifféremment à tous les emballages mis sur le marché, qu’ils soient utilisés par des ménages ou des professionnels. Cependant, il existe en France une filière à Responsabilité Elargie du Producteur (REP) sur les emballages ménagers uniquement, qui permet de recueillir des données précises de mise sur le marché : ainsi en 2018, 1 175 milliers de tonnes d’emballages plastiques ménagers ont été mis sur le marché, dont 495 000 tonnes de bouteilles-flacons et 680 000 tonnes d’autres emballages en plastique[1].

Il n’existe pas de données aussi précises pour les emballages professionnels, dont la filière REP doit voir le jour en 2025. Mais paradoxalement, le réemploi est davantage développé pour les emballages professionnels, par exemple dans les cafés, hôtels et restaurants : une part importante du verre est consigné, et les emballages de transport sont également réemployés (caisses en plastique par exemple). La question reste donc de savoir quelle sera la contribution de chaque nature d’emballage – ménager et professionnel – aux objectifs du décret 3R.

Allocation par catégorie de produits

La même question se pose pour la contribution par catégorie de produits : il est clair que toutes les catégories de produits ne sont pas « égales » devant les objectifs du décret 3R, notamment l’objectif de réduction, et le décret stipule que cet objectif doit tenir compte du « potentiel propre aux catégories de produits auxquelles sont destinés ces emballages ». Mais comment les catégories de produits seront-elles définies ? Et quels seront les objectifs propres à chaque catégorie ? Ces questions restent à trancher.

Mesure du réemploi

Le réemploi ne peut pas être mesuré comme l’usage unique : si la masse unitaire d’un emballage réemployé est généralement plus élevée que celle d’un emballage à usage unique, en revanche le nombre d’utilisation des emballages réemployés est bien plus important que celui des emballages à usage unique. On ne peut donc pas comparer un tonnage d’emballages à usage unique à un tonnage d’emballages réemployés : les emballages à usage unique sont uniquement un flux, tandis que les emballages réemployés sont très partiellement un flux (au moment de leur mise sur le marché) et surtout un stock (en phase d’utilisation).

C’est la raison pour laquelle le décret 3R prévoit que « à partir du 1er janvier 2023, un indicateur complémentaire est mis en place pour suivre l’évolution du nombre d’Unités de Vente Consommateur [UVC] commercialisées dans des emballages [en plastique à usage unique] ». Par ce biais, il sera ainsi possible de mesurer la quantité d’emballages à usage unique évités :

  • Via du « un pour un » : si la bouteille d’eau de 50 cL est définie comme une UVC, alors le remplacement d’une bouteille de 50 cL à usage unique par une bouteille de 50 cL réemployée fait baisser de 1 le nombre d’UVC à usage unique mis sur le marché ;
  • Potentiellement aussi via du « un pour plusieurs » : si les bouteilles de 50 cL à usage unique sont remplacées par des bidons de 5 L réemployés, alors le nombre d’UVC à usage unique mis sur le marché baisse de 10.

Cette mesure du réemploi est cependant assez théorique : il reste à voir comment elle sera effectuée en pratique par les metteurs sur le marché et les pouvoirs publics.

Définition de l’emballage « inutile »

Le décret 3R donne une définition générique de l’emballage inutile, comme étant celui qui n’a pas de fonction technique essentielle (protection et transport des produits ou support d’information réglementaire) – mais dans les faits :

  • Une liste plus précise d’emballages inutiles sera-t-elle proposée ?
  • Ou bien des initiatives citoyennes pourraient-elles « dénoncer » les emballages inutiles et forcer les metteurs sur le marché à les retirer ? Si oui selon quelles modalités ?

Du côté des metteurs sur le marché justement, on peut noter que l’éco-organisme Citeo a mené un travail collaboratif de définition de critères pour trouver le « juste emballage » de chaque produit conditionné. A partir de ces critères, qui ont vocation à devenir des essentiels pour Citeo et ses clients, 4 prototypes d’outils ont été conçus pour permettre aux entreprises de s’auto-évaluer[2].

 

Quels sont les impacts potentiels du décret ?

Réduction à la source des emballages en plastique à usage unique (réemploi compris) : un vrai changement de modèle ou une simple phase d’observation ?

Le décret 3R du 29 avril 2021 est normalement le premier d’une série de quatre, jusqu’à la disparition programmée des emballages en plastique à usage unique d’ici à 2040. Il fixe ainsi de premiers jalons de réduction à la source, dans une proportion de 20 % réemploi et réutilisation compris. Cela suffira-t-il cependant à donner une vraie impulsion au réemploi des emballages en France, jusqu’à faire basculer un modèle aujourd’hui fondé sur l’usage unique ?

  • Peut-être, si l’on considère certaines mesures réglementaires qui complètent le décret 3R, comme l’interdiction de mise à disposition de bouteilles en plastique dans les établissements recevant du public au 1er janvier 2021, l’objectif de réduire de 50 % d’ici à 2030 le nombre de bouteilles en plastique à usage unique pour boisson mises sur le marché, ou encore les dispositions favorables au vrac contenues dans la loi AGEC ;
  • Cependant, on peut aussi considérer qu’au moins deux raisons structurelles feront de la période 2021-2025 une phase d’observation plutôt qu’une vraie phase d’action contre les emballages plastiques à usage unique :
    • Première raison, le manque d’information sur les emballages professionnels et les incertitudes liées à la mesure du réemploi (voir ci-dessus). En particulier, la mise en place au 1er janvier 2025 uniquement de la filière REP des emballages industriels et commerciaux aura tendance à concentrer sur les emballages ménagers l’effort de réduction inscrit dans le décret 3R – en limitant du même coup sa portée ;
    • Deuxième raison, le retard pris en raison du Covid-19 dans la lutte contre les plastiques à usage unique : les habitudes de consommation nées en 2020 en réponse à la crise sanitaire, par exemple le recours massif à la restauration livrée[3], ne vont malheureusement pas dans le sens d’une réduction des emballages en plastique à usage unique mis sur le marché…

Recyclabilité des emballages en plastique à usage unique : un bon objectif, mais qui n’est pas si facile à atteindre

L’objectif de 100 % d’emballages en plastique à usage unique recyclables d’ici à 2025 doit permettre à la fois de :

  • Trouver des solutions pour le recyclage des emballages aujourd’hui non recyclables, comme les barquettes operculées ou les emballages souples, pour lesquels seul le mono-matériau PE a des perspectives de recyclage par exemple ;
  • Développer l’intégration de plastiques recyclés aux emballages neufs mis sur le marché. A ce titre on peut noter par exemple que les industriels laitiers, qui travaillent avec Citeo au sein du consortium PS25, se sont engagés à réutiliser jusqu’à 100 % du polystyrène issu de la filière de recyclage et de collecte française des emballages pour les applications alimentaires[4];
  • Eviter l’apparition de « nouveaux » emballages non recyclables, c’est-à-dire ne disposant pas d’une filière de recyclage opérationnelle, comme par exemple les bioplastiques.

[1] Citeo, Rapport annuel 2018

[2] https://www.citeo.com/le-mag/citeo-aide-les-entreprises-trouver-la-voie-vers-le-juste-emballage

[3] Voir notre article : https://takeawaste.fr/engagements-de-la-restauration-livree-presentation-et-avis-critique/

[4] Charte d’engagement : réduction de l’impact environnemental des emballages en polystyrène par l’émergence d’une filière de recyclage française efficiente

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