Engagements de la restauration livrée : présentation et avis critique

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Engagements de la restauration livrée : présentation et avis critique

Le 15 février 2021, 19 acteurs de la restauration livrée ont signé avec le ministère de la Transition écologique une charte d’engagement, afin de lutter contre le gaspillage et le suremballage dans ce secteur.

Cette charte comprend 10 engagements qui concernent l’ensemble des déchets et s’articulent autour de 4 axes : réduire, réemployer, recycler, et enfin sensibiliser et communiquer.

 

1/ Depuis le premier confinement, une explosion de la restauration livrée… et de ses déchets

En 2019, la restauration livrée a représenté selon le ministère de la Transition écologique 200 millions de repas, soit au moins 600 millions d’emballages. Or avec le confinement et la fermeture des restaurants, les ménages se font encore davantage livrer qu’auparavant, afin de garder une alternative à la cuisine maison. Uber Eats a ainsi enregistré une hausse de 100% de son activité en France entre le deuxième trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2020 [1]!

Cette croissance de la vente à emporter entraîne simultanément une augmentation des déchets en plastique servant à emballer les produits livrés, mais aussi à les consommer : couverts jetables, boîtes, sacs, mais aussi barquettes et gobelets sont omniprésents, et constituent une source de pollution qui pourrait pourtant être évitée.

 

2/ Les engagements de la Charte

La charte réunit 19 signataires, dont des plateformes de livraison, des « restaurants virtuels », des fournisseurs d’emballage et des apporteurs de solutions pour le réemploi. Voici un récapitulatif des 10 engagements pris par les acteurs de la restauration livrée à travers la charte :

Objectifs des engagementsEngagements des acteurs de la restauration livréeNuméro

Réduire

Réduire les contenants et emballages en plastique à usage unique, avec l’objectif d’atteindre 50% des emballages livrés sans plastique à usage unique d’ici le 1er janvier 2022 et 70% d’ici le 1er janvier 2023

1

Bannir les sacs en plastique utilisés par les restaurants pour la livraison d’ici le 1er janvier 2023

2

Mettre fin à la livraison systématique de couverts et de sauces dès le 1er mars 2021

3
Réemployer

Mener dès 2021 des expérimentations de solutions locales de réemploi de contenants et emballages

4

Passer à 100% de contenants réemployés livrés sur les lieux de restauration en entreprise d’ici le 1er janvier 2023

5

Réduire les emballages jetables de regroupement de plats utilisés pour la logistique entre les cuisines, les entrepôts et les points de livraison

6
Recycler

Atteindre 100% de contenants et emballages recyclables dès le 1er janvier 2022

7

Bannir les résines plastiques les plus problématiques à recycler dès le 1er juillet 2021

8

Communiquer

Favoriser la visibilité auprès des clients, des restaurants qui s’engagent en faveur de la réduction de l’impact environnemental de leurs emballages

9

Renforcer l’information des clients sur le geste de tri des emballages pour les livraisons à domicile et en entreprise

10

Afin d’accompagner au mieux les signataires de la charte dans l’application de leurs engagements, le ministère de la Transition écologique les aidera tout au long du processus, en lien avec l’ADEME. Un comité de suivi aura lieu tous les deux mois : le premier devrait donc s’être réuni au cours du mois d’avril, mais il n’y a pour le moment aucune information publique. De plus, une communication sur la progression des engagements se fera tous les 6 mois, et des indicateurs de suivi seront mis en place, afin de mesurer les progrès réalisés, et le chemin qu’il reste à parcourir !

 

3/ Avis critique

A quel point est-ce représentatif ?

  • Côté « plateformes d’intermédiation » et « restaurants virtuels », les principaux acteurs du marché sont bien signataires de la charte (Uber Eats, Deliveroo, Frichti, Stuart, FoodChéri, etc.) ;
  • Côté « porteurs de solutions », la charte ne compte que cinq signataires (En boite le plat, GreenGO, Uzaje, Reconcil et Pyxo), qui sont principalement implantés en région parisienne – or il existe de nombreux autres porteurs de solution et sur tout le territoire français. De plus, même si les cinq porteurs de solution signataires de la charte le font évidemment « pour la bonne cause », il y a indéniablement aussi une opération de communication derrière leur engagement dans cette charte, qui leur permet de se faire connaître auprès d’un grand nombre d’acteurs.

La représentativité de la charte est donc globalement plutôt bonne, même si de nombreux autres porteurs de solutions pourraient aussi rejoindre la démarche !

A quel point est-ce engageant ?

L’initiative est bonne et il faut la saluer : cette charte répond à un vrai enjeu environnemental et montre que les acteurs de la restauration livrée ont conscience de la nécessité d’agir dès maintenant. Cependant, cette charte intègre des engagements pris volontairement par les 19 signataires. Elle n’a donc pas de caractère réellement contraignant :

  • Par définition, ces engagements volontaires ne sont pas des contraintes réglementaires : ils n’apparaissent pas dans la loi ;
  • Par expérience, on peut craindre que ces engagements soient peu contrôlés par les pouvoirs publics – dont ce n’est d’ailleurs pas tout à fait le rôle… puisqu’il ne s’agit pas d’une loi. Il existe un précédent important qui appuie cette crainte : il s’agit de l’engagement de 15 enseignes de la restauration rapide de respecter le décret 5 flux. En vigueur depuis 2016, le décret 5 flux n’était pas respecté par les principales enseignes de restauration rapide[2], qui ont été convoquées par Brune Poirson en janvier 2019 et qui se sont alors engagées à respecter le décret de façon échelonnée d’ici à la fin de l’année 2021. Or à date, aucun suivi de cet engagement n’a été rendu public et on peut constater dans les faits que de nombreuses enseignes de la restauration rapide ne respectent toujours pas le décret 5 flux.

Si elle n’est pas engageante au sens de « contraignante », la charte signée par les acteurs de la restauration livrée est-elle au moins engageante au sens de « militante » ? Autrement dit, les engagements pris par les acteurs sont-ils suffisamment ambitieux ? Constituent-ils ensemble une réponse à la hauteur des enjeux ?

  • Dans la formulation même des engagements, on peut se réjouir que beaucoup relèvent d’objectifs chiffrés, ce qui est toujours plus précis et plus engageant que des formulations vagues. Il reste cependant ce genre d’engagements dans la charte, notamment les numéros :
    • 4 : une expérimentation n’est pas très engageante ;
    • 6 : aucun objectif chiffré n’est associé à la réduction ;
    • 9 et 10 : ce sont des engagements de sensibilisation assez flous ;
  • Concernant les six engagements restants, à quel point sont-ils ambitieux ? De façon très simplifiée, il est possible de proposer une matrice impact / faisabilité pour positionner ces engagements :

A quel point est-ce sérieux ?

Les engagements présents dans la charte concernent principalement l’usage des emballages (i.e. lutte contre l’usage unique) ainsi que le matériau d’emballage utilisé (i.e. lutte contre le plastique). Cependant, d’un point de vue environnemental et en raisonnant sur l’ensemble du cycle de vie :

  • Rien ne dit que le réemployé est toujours meilleur que l’usage unique : cela dépend notamment du poids respectif des emballages, du nombre d’utilisation de l’emballage réemployé et de la distance au centre de lavage ;
  • Rien ne dit que le carton à usage unique est toujours meilleur que le plastique à usage unique : c’est même plutôt l’inverse qui est vrai, puisque le plastique est plus résistant que le carton et se recycle tout aussi bien (exception faite de certaines résines ou mélange de résines qu’il faut effectivement bannir). C’est la raison pour laquelle :
    • Les engagements numéros 1, 2 et 5, qui concernent la substitution des emballages plastiques par des emballages en carton, présentent un bénéfice environnemental globalement faible ;
    • Les engagements numéros 7 et 8, qui portent sur la recyclabilité des emballages et notamment les plastiques, présentent un réel intérêt environnemental.

Enfin, et c’est là le point le plus important, il faut s’interroger sur la pratique même de la restauration livrée. Quel est réellement le service rendu et avons-nous vraiment besoin d’autant se faire livrer ? A l’évidence, la réponse est non :

  • Il existe bien entendu des cas particuliers comme le portage de repas, par exemple pour des personnes âgées qui ne peuvent plus se faire à manger chez elles (ni aller tous les jours au restaurant). Un autre cas particulier serait les épisodes de couvre-feu en cas de crise sanitaire…
  • Pour le reste, il faut bien voir que la restauration livrée ou à emporter vient en substitution de pratiques « normales » de cuisine à la maison, repas sur place au restaurant, ou même à emporter avec son propre contenant. Par conséquent, la restauration livrée se traduit par une surproduction de contenants ou d’emballages : qu’ils soient à usage unique ou réemployés au fond ne change pas grand-chose – ce sont toujours des emballages ou contenants « nouveaux », au sens où ils n’existaient pas il y a encore quelques années.

 

4/ Conclusion

La charte d’engagements de la restauration livrée est « mieux que rien » et sans aucun doute mieux que la situation actuelle. Mais elle est aussi – et peut-être avant tout – une manière de détourner l’attention du vrai problème que constitue la restauration livrée en termes d’emballages ou contenants, à savoir une « surproduction » de ces emballages et contenants par rapport à des pratiques « usuelles » de restauration sur place. Pour limiter cette production, les meilleures solutions restent de cuisiner chez soi ou déjeuner sur place au restaurant, ou encore de venir avec son propre contenant pour prendre à emporter : d’ailleurs depuis le 1er janvier 2021, les commerçants n’ont plus le droit de refuser un contenant apporté par le consommateur.

[1] Source : « Avec la fermeture des restaurants, le retour en force des emballages jetables… et du plastique », Le Monde, 29 janvier 2021

[2] Qui n’est d’ailleurs pas la seule à ne pas le respecter : voir notre article « Décret 5 flux : faut-il le respecter ? »

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