Taxe européenne sur les emballages plastiques non recyclés : pourquoi et comment ?
L’alinéa n°146 des conclusions de la réunion extraordinaire du Conseil européen (17 au 21 juillet 2020) indique que : « Une nouvelle ressource propre sera mise en place et s’appliquera à partir du 1er janvier 2021 ; elle sera composée d’une part des recettes provenant d’une contribution nationale calculée en fonction du poids des déchets d’emballages en plastique non recyclés, avec un taux d’appel de 0,80 EUR par kilogramme ».
Séduisante sur le papier, dans une optique de développement du recyclage des plastiques (au détriment de leur incinération, leur enfouissement ou pire encore leur fin de vie dans la nature), cette taxe sur les emballages plastiques non recyclés pose néanmoins de sérieuses questions de mise en œuvre.
Question n°1 : pourquoi une taxe sur les emballages plastiques non recyclés ?
Depuis plusieurs années, les déchets plastiques sont dans le viseur de l’Union européenne, qui a voté pas moins de trois directives en 2018 et 2019 :
- La directive 2018/851, révisant la directive-cadre sur les déchets (2008/98/CE), rappelait l’obligation de collecter séparément les déchets plastiques des ménages ;
- La directive 2018/852, relative aux emballages et déchets d’emballages, introduisait un objectif de recyclage des emballages plastiques de 50 % en 2025 et 55 % en 2030 ;
- La directive 2019/904, dite « Directive Single-use Plastics (SuP) », entérinait toute une série de mesures interdisant la mise sur le marché de certains plastiques à usage unique, obligeant au suivi et au marquage d’autres plastiques à usage unique, fixant des objectifs d’incorporation de plastique recyclé aux bouteilles PET, ainsi que des objectifs de collecte séparée de ces mêmes bouteilles[1].
La taxe sur les emballages plastiques non recyclés est donc une mesure qui complète et renforce les dispositions existantes. Elle est surtout la première mesure à caractère financier et, vu les montants en jeu, elle est une réelle incitation au recyclage des plastiques ! Elle peut et doit donc être vue comme une avancée significative en la matière.
Question n°2 : quelle traçabilité associée aux déchets plastiques ?
Concernant la traçabilité, on peut affirmer qu’aujourd’hui seule une fraction des flux de déchets d’emballages plastiques est correctement suivie : celle de la filière à Responsabilité Elargie du Producteurs (REP) des emballages ménagers, en attendant les filières des emballages de la restauration et des emballages industriels et commerciaux[2]. De ce point de vue en effet, la REP représente le seul cadre où les données sont disponibles depuis la mise sur le marché (emballages) jusqu’à la fin de vie (déchets d’emballages).
Pour les emballages plastiques aujourd’hui hors REP, qui sont des emballages professionnels, il est plus difficile d’avoir une visibilité sur les déchets. Plusieurs sources d’information pourraient néanmoins être mobilisées :
- Des observatoires dédiés, gérés par des fédérations professionnelles (comme Elipso par exemple sur les plastiques) ou des acteurs consulaires (type CCI) ;
- Une centralisation des attestations exigibles dans le cadre du décret 5 flux en France : on pourrait ainsi imaginer un système où un organisme tiers – l’ADEME par exemple – serait chargé de centraliser ces attestations[3]. Mais l’absence totale de contrôle sur l’application du décret 5 flux, à date, rend cette solution très exploratoire.
Cette traçabilité, qui repose sur les détenteurs des déchets, est cependant (très) lourde à mettre en place et ne pourra pas être atteinte dès le 1er janvier 2021.
Par conséquent, sur la base des possibilités de suivi des déchets d’emballages plastiques, il semble réaliste d’imaginer une application à deux vitesses de cette taxe sur les plastiques non recyclés :
- Rapidement pour les emballages ménagers ;
- A plus long terme pour les emballages professionnels (y compris ceux de la restauration).
Question n°3 : qui va payer ?
Le scénario REP
Dans le cadre d’une filière REP, le paiement de la taxe pourrait être partagé entre les producteurs (metteurs sur le marché) et les partenaires de la collecte des déchets (collectivités notamment) :
- Côté collectivités, la taxe européenne peut être articulée au barème aval : ainsi les soutiens perçus par les collectivités seraient diminués d’une partie de la taxe. Ceci impliquerait cependant :
- D’un point de vue technique, de calculer une performance de collecte maximale des déchets d’emballages plastiques, en kilo par habitant, correspondant à la collecte de l’ensemble des emballages plastiques en France – puis le soutien de chaque collectivité serait amputé du différentiel entre la performance maximale et la performance réelle de collecte ;
- D’un point de vue politique, de prendre un risque très élevé : il est politiquement explosif de diminuer les ressources financières des collectivités, ce qui rend finalement peu probable le paiement direct par les collectivités d’une partie de la taxe européenne sur les emballages plastiques non recyclés. Le président de la République et le gouvernement l’ont d’ailleurs promis : la relance européenne ne se traduira par aucune hausse d’impôt (y compris donc des impôts locaux) ;
- Côté producteurs, cette taxe peut être articulée au barème amont :
- Pour les emballages en plastique non recyclables, qui par définition ne seront pas recyclés, il est facile d’imaginer un « sur-malus » entraîné par la taxe européenne : ces emballages-là paieront un malus encore plus fort au moment de leur mise sur le marché. Aujourd’hui, le malus maximum pour les plastiques non recyclables double leur contribution à la filière emballages (+ 100 %), sachant que la contribution de base est comprise entre 29 et 49 centimes par kilo d’emballage mis sur le marché ;
- Pour les emballages en plastique recyclables en théorie mais non recyclés en pratique, on peut imaginer que les producteurs prennent à leur charge une partie de la taxe européenne : par conséquent, ce sera l’ensemble du barème amont applicable aux emballages en plastique qui sera tiré vers le haut. Aujourd’hui, les emballages plastiques mis sur le marché paient en moyenne 37 centimes par kilo : on doublerait donc l’éco-contribution en leur affectant la moitié de la taxe (40 centimes d’euros), on la triplerait en affectant en totalité la taxe aux emballages plastiques mis sur le marché. Ce scénario d’affectation totale paraît cependant peu probable, dans la mesure où 1 150 tonnes d’emballages plastiques ménagers sont mises sur le marché chaque année, soit un supplément d’éco-contribution de 920 millions d’euros en cas d’affectation totale, soit plus que l’ensemble des éco-contributions – pour l’ensemble des matériaux – collectées par Citeo en 2018 (700 millions d’euros environ).
Des scénarios alternatifs
Etant donné les montants en jeu, qui dépassent les contributions actuelles de la filière des emballages ménagers, il est probable que les Etats européens réfléchissent à des sources alternatives de financement de la taxe. On peut imaginer en France :
- En aval, une nouvelle hausse de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP), ou bien une affectation de tout ou partie des produits de l’actuelle TGAP au paiement de la taxe européenne sur les emballages plastiques non recyclés. Les calculs pourraient s’appuyer sur les caractérisation de l’ADEME, indiquant que la part de plastique restante dans les ordures ménagères résiduelles est de 15 % environ (Modecom 2017) – mais ici aussi, la taxe européenne est beaucoup trop élevée par rapport au montant de la TGAP :
- En 2025, la TGAP sera en moyenne de 20 € par tonne de déchets incinérés et 65 € par tonne de déchets stockés, soit en théorie respectivement 3 € et 9€75 attribuables au plastique non recyclé (en reprenant l’hypothèse de 15 % de plastique dans les déchets résiduels) ;
- Or la taxe européenne est annoncée dès 2021 à 800 € par tonne d’emballages plastiques non recyclés…
- En amont, une taxation du plastique vierge (par opposition au plastique recyclé). Au prix d’un « raccourci intellectuel » selon lequel les déchets d’emballages non recyclés représentent autant de plastique en moins pour la fabrication de nouveaux emballages, on peut imaginer faire contribuer le plastique vierge à la taxe européenne et en exonérer le plastique recyclé. Cette solution a l’avantage de la simplicité, dans la mesure où le nombre d’assujettis à la taxe – les plasturgistes – serait relativement limité, mais elle est plus éloignée de l’esprit du texte original que les autres solutions envisagées dans cet article.
En conclusion, la faible traçabilité des emballages plastiques hors REP d’une part et le taux élevé de la taxe européenne d’autre part rendent très compliquée la mise en œuvre de la mesure. A date, on peut difficilement imaginer autre chose qu’un plan de mise en œuvre progressive, qui pourrait inclure :
- Une accélération de la mise en place des filières REP des emballages professionnels ;
- Une trajectoire de hausse du barème amont applicable aux emballages plastiques ;
- Une multiplication du malus applicable aux emballages plastiques non recyclables ;
- Potentiellement, une nouvelle hausse de la TGAP ;
- Potentiellement, une taxation du plastique vierge.
[1] Ces objectifs européens, ainsi que les objectifs français de la loi économie circulaire, sont présentés de façon synthétique dans cet article : https://takeawaste.fr/la-reglementation-sur-la-reduction-des-emballages-et-du-plastique-a-usage-unique/.
[2] La filière des emballages de la restauration est française uniquement et prévue pour le 1er janvier 2022 (initialement 2021 et repoussée en raison du covid-19) ; la filière des emballages industriels et commerciaux est européenne et prévue pour le 1er janvier 2025.
[3] Il resterait aussi à 1/ exiger des attestations de recyclage (et non de valorisation comme c’est le cas aujourd’hui) ; 2/ proposer un modèle d’attestation qui distingue les différents matériaux du 5 flux (ou a minima le plastique) ; 3/ s’assurer qu’en cas de non-recyclage, les mêmes plastiques ne paient pas deux fois (en amont dans le cadre d’une REP emballages par exemple et en aval au contrôle d’application du décret 5 flux).