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Traitement sur site des protections : une bonne solution pour la gestion des déchets en EHPAD ?
Les protections usagées représentent une quantité de déchets très importante en EHPAD et jusqu’à présent ce flux n’est pas recyclable. Face à ce constat, plusieurs sociétés proposent des machines de traitement sur site des protections usagées, séduisantes sur le papier mais pas toujours à la hauteur des espérances sur le terrain. Take a waste fait le point sur ces « biodigesteurs », en toute objectivité sur leur intérêt et leurs limites.
Sur la base de notre expérience en EHPAD (plus de 500 établissements accompagnés depuis 2018), nous pouvons affirmer que les protections usagées représentent – en poids – environ 50 % des déchets résiduels de ces établissements. Pour les établissements qui trient très bien, et donc qui ont déjà réduit leurs déchets résiduels au profit des déchets recyclables, la part des protections dans les déchets résiduels peut même monter à deux tiers environ. En d’autres termes, si le taux de recyclage des EHPAD plafonne aujourd’hui, c’est à cause des protections usagées qui ne sont pas recyclables.
Ces protections ne sont pas non plus compostables, comme certaines couches bébé commencent à l’être. En effet, le projet de R&D « COMPIC » – mené en 2019-2020, coordonné par Les Alchimistes et soutenu par l’ADEME – a montré que les résidus médicamenteux dans les protections adultes en EHPAD étaient nombreux et présents à des niveaux de concentration potentiellement élevés [1].
La conclusion du projet est donc de « se concentrer sur le gisement de couches bébé » pour une future filière de compostage des couches, et d’abandonner dans un premier temps les couches adultes.
Dernier enjeu concernant les protections pour incontinence : elles vont être intégrées à la future filière à Responsabilité Elargie du Producteur (REP) sur les Textiles Sanitaires à Usage Unique (TS2U), ce qui veut dire que les metteurs sur le marché – fabricants ou distributeurs de protections pour incontinence – vont devoir s’intéresser à leur fin de vie.
Les protections usagées sont donc un déchet critique en EHPAD, sans solution de valorisation matière à ce jour.
Les machines de traitement sur site des protections usagées sont des « biodigesteurs » ou des « éco-digesteurs », directement inspirées des mêmes machines existantes pour le traitement sur site des biodéchets. Leur principe de fonctionnement repose sur :
- Une action mécanique : les déchets sont d’abord broyés à l’aide d’un ou deux broyeurs intégrés à la machine, qui sont constitués de pales et qui déchiquètent le flux entrant en petits morceaux davantage « digestes » pour les bactéries que les protections entières ;
- Une action micro-biologique : les déchets sont ensuite digérés par des micro-organismes, dans une ou plusieurs cuves prévues, sachant que ces micro-organismes sont à renouveler au fur et à mesure (selon une fréquence à déterminer selon la machine) ;
Ces deux actions combinées réduisent jusqu’à 90 % le poids des déchets. Cependant, « rien ne se perd » et la réduction en poids s’explique par une transformation de la matière principalement en chaleur. La chaleur et l’humidité du biodigesteur sont pilotées pour réguler l’alimentation des micro-organismes, chaque fabricant a son propre système de filtration pour la vapeur / l’humidité et les odeurs générées par la digestion des protections usagées.
Enfin il reste en sortie de machine un résidu solide, qui est une matière laineuse ou fibreuse exempt d’organismes pathogènes, à éliminer avec les DAOM. Les fabricants étudient la recyclabilité de ce résidu solide, qui pourrait être transformé (par exemple) en un isolant ; ceci n’est pas nécessairement envisageable à court terme et une nouvelle étape de traitement serait de toute façon requise [2].
A proprement parler, il ne s’agit donc pas de traitement sur site des déchets, mais d’un pré-traitement qui laisse à l’EHPAD un flux en sortie de machine, à éliminer avec les déchets résiduels. La solution ne doit donc pas non plus être assimilée à du recyclage, puisque les déchets résiduels sont au mieux valorisés énergétiquement (et au pire enfouis).
Le tableau suivant propose une analyse technique, économique et environnementale des biodigesteurs pour protections usagées :
Critères | Points fortsdes biodigesteurs | Points faiblesdes biodigesteurs |
Technique | + Machines « low tech » dans leur conception et leur fonctionnement + Qualité des matériaux utilisés (inox notamment) + Possibilité d’installer les machines dehors + Capacité de traitement variable selon les modèles + Surveillance à distance du bon fonctionnement de la machine | -Temps de chargement et déchargement de la machine à prévoir, incluant une formation des équipes sur site au démarrage – Peu de recul sur la durée de vie des machines, qui pourrait être de 15 à 20 ans mais la garantie n’est pas aussi longue |
Économique | + Réduction (éventuelle) du coût de gestion des déchets résiduels [3] + Location possible pour éviter un décaissement important à l’achat de la machine | – Investissement initial élevé : de 60 à plus de 200 k€ HT selon les modèles (prix à affiner avec les distributeurs du matériel selon le modèle choisi) – Coûts de maintenance des machines (un passage par an minimum), incluant le coût d’achat des consommables nécessaires au fonctionnement – Coût de l’électricité nécessaire au fonctionnement de la machine |
Environnemental | + Réduction du poids, donc de l’impact environnemental associé au transport des déchets | – Maintien des protections à l’état de déchets résiduels : il n’y a pas de recyclage et il reste un flux à éliminer « comme avant », même si ce flux est drastiquement réduit |
Une dernière limite des biodigesteurs est de créer, comme toute machine de pré-traitement ou traitement des déchets, une « capacité existante » qui est dimensionnée pour une certaine quantité de déchets. Ceci est un frein objectif à la réduction des déchets, puisque la machine devra être remplie pour être rentabilisée. Un parallèle peut être fait avec l’incinérateur d’Oslo, en Suède, qui a été obligé d’importer des déchets résiduels pour fonctionner à pleine capacité. Inversement, une bonne gestion des déchets commencerait par réduire l’utilisation de protections, par exemple en accompagnant mieux les résident.es le jour pour qu’ils ou elles aillent aux toilettes, tout en conservant une protection pour la nuit [4].
Le manque de recul sur les machines de pré-traitement sur site des protections est une vraie limite, nous empêchant de les recommander pleinement (et nous pousse par ailleurs à rester en veille sur ce sujet). En tout état de cause, avant d’acheter ou de louer une machine de ce type, une analyse doit être conduite au cas par cas :
- Technique : tout dépend de l’espace disponible en établissement et de sa motivation à créer un circuit spécifique aux protections usagées ;
- Économique : tout dépend du coût actuel des déchets résiduels ;
- Environnementale : tout dépend de la distance au centre de massification des déchets résiduels et à l’exutoire de traitement final.
Les « biodigesteurs » pour les protections usagées en EHPAD ne sont donc ni une solution miracle ni nécessairement un mirage technologique. L’intérêt – environnemental notamment – de ces machines serait renforcé si elles parvenaient à :
- Produire un flux sortant recyclable : le résidu solide obtenu actuellement pourrait devenir un isolant, par exemple, ou une autre matière première de recyclage, utilisable pour la fabrication d’un nouveau produit ;
- Récupérer la chaleur produite par la digestion des protections : aujourd’hui cette chaleur est perdue et il serait bénéfique de pouvoir la réutiliser pour chauffer – en partie – l’EHPAD. Cette perspective semble cependant plus lointaine encore, techniquement, que la recyclabilité du résidu solide en sortie de machine.
En tout état de cause, il serait intéressant que les sociétés fournissant les machines de traitement sur site des protections usagées – ou mieux encore l’ADEME – réalisent une analyse de cycle de vie comparant les impacts environnementaux du traitement sur site (d’une part) et de la collecte externe pour incinération ou enfouissement (d’autre part).
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[1] ADEME (2020), Valorisation organique des couches et analyse des risques sanitaires et environnementaux
[2] Le biodigesteur ne produira pas directement un isolant, mais toujours un résidu solide qui devra être collecté séparément pour être transformé – par un nouvel acteur – en un isolant.
[3] Si l’EHPAD paie une redevance spéciale à sa collectivité ou a recours à un prestataire privé pour la collecte de ses déchets résiduels, alors la baisse des quantités produites de traduira par une baisse de la facture déchets. En revanche, si la collecte des déchets résiduels est couverte par la seule Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM), alors la réduction des déchets n’aura aucun impact sur le montant payé par l’établissement. Voir notre article à ce sujet.
[4] Ceci est bien entendu rendu difficile par le manque de personnel en EHPAD… mais c’est un autre sujet.